RIP Malthus, édition gaz de schiste

Dans un rapport spécial publié en 2010 [1], le Conseil Mondial de l’Énergie estimait la ressource mondiale de gaz de schiste à 456 trillions [2] mètres cubes tandis que les réserves de gaz naturel conventionnel étaient évaluées à 187 trillion m3. Le moins que l’on puisse dire c’est donc que le gaz de schiste, c’est tout sauf une ressource d’appoint. En revanche, l’extraction du fameux gaz pose quelques problèmes pratiques et financiers qui sont loin d’être négligeables : primo, il est emprisonné dans des roches (des schistes argileux sédimentaires [3]) peu perméables qui ne permettent pas d’obtenir un débit suffisant pour rentabiliser un forage et ce, d’autant plus que, secundo les fameuses roches se trouvent en général à bonne profondeur et sur des surface relativement étendues. Bref, il y a encore une dizaine d’années, peu de gens croyaient à une exploitation industrielle rentable du gaz de schiste.

Mais George P. Mitchell, lui, y a cru dur comme fer. Né en 1919 d’un couple d’immigrants grecs, c’est l’homme qui va changer la donne. Diplômé de l’université Texas A&M avec une spécialisation en géologie et en ingénierie pétrolière, Mitchell se lance dans l’industrie et, en 1946, fonde la Mitchell Energy & Development. Quand, dans les années 1970, les deux premiers chocs pétroliers propulsent le prix du baril au-delà des 20 dollars (en dollars courants), Mitchell commence à étudier la possibilité d’exploiter les gaz de schistes. Au cours des années 1980-90, il va tester des combinaisons de techniques connues de longue date mais qui n’avaient, jusqu’à ce jour, jamais étés combinées ensembles sur la formation géologique de Barnett Shale (Texas).

La première de ces techniques, connue depuis le XIXème siècle, c’est celle du forage horizontal qui permet, à partir d’un seul puis de chercher du gaz ou du pétrole sur une zone plus large. Le seconde, c’est la fracturation hydraulique (ou « fracking ») ; une méthode qui consiste à injecter du liquide dans la roche pour la fracturer et permettre ainsi au gaz ou au pétrole emprisonné à l’intérieur de s'écouler plus facilement. Mitchell l’améliorera en ajoutant du sable à l'eau pour maintenir les fissures ouvertes. Mais son véritable coup de génie c’est de combiner ces deux techniques dans le but de rentabiliser l’extraction du gaz de schiste. Et après deux décennies d’effort, il va y parvenir.

Nous sommes donc au tournant du millénaire et les prix du gaz naturel font de nouveau une embardée spectaculaire. Fortes du succès de la méthode Mitchell à Barnett Shale, qui a par ailleurs été confirmé par des résultats similaires dans la formation de Fayetteville Shale (Arkansas), plusieurs entreprises se lancent dans l’aventure si bien qu’entre 2000 à 2006, la production de gaz de schiste étasunienne progresse de 17% par an pour atteindre un volume d’environ 28 milliards de mètres cubes en 2006 – soit 6% de la production totale de gaz naturel des États-Unis. Mais ce sont surtout les envolées des prix du gaz naturel aux seconds semestres 2005 et 2008 qui vont servir de véritable déclencheur à une petite révolution de l’industrie.

A chaque fois que le prix de quelque chose monte, on voit invariablement ressortir les mêmes théoriciens malthusiens qui viennent nous expliquer que nous allons bientôt manquer de tout, qu’ils y a trop de gens sur terre, qu’il faut décroître de notre plein grès sans quoi Mère Nature nous y forcera bientôt. On assiste à un ballet de géologues, de sociologues, de physiciens, de mathématiciens et – bien sûr – de politiciens trop heureux d’avoir une gigantesque catastrophe à nous vendre pour justifier une intervention massive de l’État dans nos vies. Ces gens sont, en général, tout à fait compétents dans leurs domaines respectifs [4] mais en matière d’économie, ils sont en général parfaitement analphabètes. Ce qu’un économiste sait c’est que quand le prix d’une ressource augmente les consommateurs de cette ressource sont incités à consommer moins ou autre chose tandis que les producteurs reçoivent une très forte incitation à investir pour trouver de nouveaux gisements, améliorer leurs productivité ou – à défaut – développer une ressource alternative.

Et c’est exactement ce qu’il va se passer au début des années 2000 dans l’industrie du gaz naturel aux États-Unis. Avec des prix historiquement élevés, c’est toute une industrie qui va soudain trouver très profitable d’investir dans la méthode de Mitchell pour exploiter du gaz de schiste. En quelques années, les exploitations vont se multiplier comme des petits pains dans les gisements de Haynesville, de Marcellus, de Woodford, de Eagle Ford et d’ailleurs si bien qu’entre 2006 et 2010, la production de gaz de schistes étatsunienne progressera de 48% par an en moyenne. En 2010, ce sont ainsi près de 136 milliards de mètres cubes qui sont extraits du sous-sol ; soit 23% de la production totales des États-Unis.

Bien sûr, cette augmentation de la production c’est traduite par une baisse des prix : depuis 2009, les futures gaz naturel du CME se négocient aux alentours des 4 dollars, leur niveau le plus bas depuis dix ans (ajusté de l’inflation). Et pendant ce temps, alors que le gouvernement des États-Unis continue à brûler des milliards de dollars en subventions [5] pour les énergies dites « renouvelables », « durables » ou « vertes » et autres lubies de politiciens biens nourris par les lobbies, les entreprises minières embauchent à tour de bras et, par ricochet, relancent les aciéries, les transports ferroviaires et – d’une manière générale – l’économie d’États comme la Louisiane, le Dakota du nord, le Texas, la Virginie occidentale ou la Pennsylvanie. Dans le cas de cette dernière, par exemple, on estime le nombre d’emplois créés par cette nouvelle activité quelque part entre 44 000 et 72 000 ; dans le conté de Bradford, le taux de chômage qui était de 10% en 2009 a été divisé par deux depuis grâce à l’exploitation du gisement de Marcellus Shale.

Selon les plus récentes projections de la Energy Information Administration (EIA), avec un volume de production de près de 150 milliards de mètres cubes, le gaz de schiste pourrait représenter dès cette année un quart de la production américaine. Et c’est probablement loi d’être fini puisque dans son rapport 2001 [6], la même EIA réévaluait les réserves de gaz de schiste techniquement exploitables aux États-Unis de 9,8 trillions de m3 à – tenez vous bien – 23,4 trillions. A horizon 2035, l’EIA estime que le gaz de schiste pourrait bien compter pour la moitié de la production US. Les prix du gaz naturel se sont dors et déjà désolidarisés de ceux du pétrole et on voit déjà fleurir les premiers rapports qui cherchent à évaluer les conséquences géopolitique d’un monde ou les États-Unis sont non seulement autosuffisants mais même peut-être exportateurs ; on pense naturellement à la Russie et l’Iran.

Un petit graphique vaut mieux qu'un long discours (NB: Shale gas = gaz de schiste) :

Source: EIA, Annual Energy Outlook 2011 (page 3)

Épilogue : encore selon l’EIA, la France détiendrait –avec la Pologne – les plus importantes ressources de gaz de schiste techniquement recouvrables en Europe ; un total estimé à 5 trillions de mètres cubes (sans compter les réserves d’huile de schiste qui vont avec) soit un bon siècle de consommation au rythme actuel. Malheureusement, en France, on a du gaz de schiste mais on a pas de bonnes idées : non seulement vous n’êtes propriétaire de votre sous-sol que s’il est vide [7] mais en plus, le 30 juin 2011, alors que les polonais se frottaient les mains, nous sommes le premier pays à avoir interdit la fracturation hydraulique jugée trop polluante par l’habituel quarteron de bobos-écolos adeptes du principe de précaution à outrance [8]. La machine à perdre est en marche, rien ne saurait l'arrêter...

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[1] Survey of Energy Resources: Focus on Shale Gas.
[2] Avec 1 trillion = 10^12 ou mille milliards (échelle courte).
[3] Non, je ne fais pas le malin : j’ai copié ça sur Wikipédia.
[4] Les mathématiciens se révèlent particulièrement bons pédagogues quand il s’agit d’expliquer ce qu’est une croissance exponentielle…
[5] Un rapport du département de l’énergie étasunien de 2008 estimait que, sur la période 1961-2008, le gouvernement fédéral avait dépensé environ 172 milliards de dollars dans la recherche et le développement de nouvelles technologies liées à l’énergie. En vain, comme d’habitude.
[6] EIA, Annual Energy Outlook 2011.
[7] Wiki : « En France, la propriété du sol entraîne propriété du sous-sol (article 552 du code civil), mais le code minier prévoit que les gisements miniers ne peuvent exploités qu'avec l'autorisation de l'État et pas nécessairement au profit du propriétaire. »
[8] Voir, notamment, Vincent Benard sur ce sujet.

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