Je ne suis pas un virus

« Je voudrais partager avec vous une révélation que j’ai eu durant mon temps ici. Elle m’est venue alors que j’essayais de classifier vos espèces et j’ai réalisé que les humains ne sont pas des mammifères. Tous les mammifères sur cette planète développent instinctivement un équilibre naturel avec l’environnement qui les entoure ; mais vous, humains, n’en faites rien. Vous vous installez quelque part et vous vous multipliez, vous vous multipliez jusqu’à ce que toutes les ressources soient consommées. Le seul moyen pour vous de survivre est de vous déplacer à un autre endroit.
Il y a un autre organisme sur cette planète qui se comporte de cette manière. Vous savez ce que c’est ? Un virus. Les êtres humains sont une maladie, un cancer de cette planète ; vous êtes la peste et nous sommes le remède. »

Si cette diatribe qui mêle si subtilement malthusianisme et écologisme radical vous rappelle quelque chose sans que vous parveniez à vous souvenir de quoi précisément, ne cherchez plus : c’est une traduction personnelle du discours que tient l’agent Smith (Hugo Weaving) à Morpheus (Laurence Fishburne) dans The Matrix (1999). Tout y est : la croissance (exponentielle) de la population humaine qui consomme jusqu’à l’épuisement les ressources naturelles du monde (Malthus 1.1 et suivants…), la solution écologiste radicale qui consiste à sauver mère nature en éliminant l’homme – ou, du moins, en réduisant drastiquement la population humaine – et, last but not least, le positionnement de celui qui accuse et n’a manifestement pas l’intention de faire partie du nombre de ceux qui devront disparaître. Bien sûr, ce n’est qu’un film mais ce qui est tout de même proprement surréaliste c’est d’observer le nombre de gens qui, dans les commentaires sur internet ou sur les réseaux sociaux, estiment que l’agent Smith a tout à fait raison ; qu’il faut éliminer tout ou partie de l’espèce humaine.

Parce que, mesdames et messieurs les décroissants, c’est exactement ce dont il s’agit. Vous aurez beau tourner autour du pot et nier l’évidence, toute réduction sensible de l’impact de l’humanité sur cette planète revient, d’une manière ou d’une autre, à réduire la population humaine. Vos théories, si par malheur elles devaient s’avérer exactes, impliquent soit que nous contrôlions de manière autoritaire l’évolution de nos populations – au moyen, pour reprendre les termes de Malthus, de contrôles négatifs (réduction du taux de natalité) ou de contrôles positifs (augmentation du taux de mortalité) – soit que nous revenions à des modes de production moyenâgeux, c'est-à-dire à niveau de développement économique et technologique qui suffisait à peine à nourrir 600 millions d’individus. Dans un cas comme dans l’autre, il faudra donc que quelqu’un décide qui pourra survivre et enfanter et qui ne le pourra pas. Dans un cas comme dans l’autre, la seule conclusion logique de vos idées, c’est un régime totalitaire [1] à l’échelle mondiale et quelques milliards de morts.

Vous comprendrez donc que nous ayons quelques réticences à vous croire sur parole.

D’autant plus que, depuis 214 années [2] que vous nous bassinez avec vos prédictions apocalyptiques, j’observe qu’elles ont toutes, sans exception, été systématiquement démenties par les faits. Vous nous avez envoyé des physiciens dégarnis nous démontrer que la terre était un monde fini (merci mais il ne fallait pas vous donner cette peine, nous étions au courant) et des mathématiciens barbus nous expliquer ce qu’était une croissance exponentielle (idem) ; à chaque fois leurs prédictions se sont révélées fausses et à chaque fois, au lieu de vous remettre en question et d’écouter nos arguments, vous n’avez rien trouver de mieux que de décaler la date du grand effondrement final de quelques années.

Partout où vous avez voulu contrôler les naissance de manière autoritaire, la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie qui en résulte – notamment en matière de nutrition et de soins de santé – a naturellement réduit le taux de croissance des populations et ce, malgré la chute vertigineuse de la mortalité infantile, les prodigieux gains que nous avons réalisé en termes d’espérance de vie et, ironiquement, les politiques natalistes mises en œuvre par certains de nos gouvernements. Nous avons maintenant plusieurs siècles de données, c’est un phénomène observé dans toutes les cultures et à toutes les époques : le progrès économique stabilise naturellement la croissance des populations, les gens s’adaptent aux évolutions de leurs conditions de vie et ils font naturellement.

Pas plus tard qu’à la fin des années 1960, vous nous prédisiez que l’humanité serait ravagée par d’immenses famines dès la décennie suivante [3]. Nous étions alors 3 milliards et demi ; entre temps la population mondiale a doublé et jamais – dans toute l’histoire de l’humanité – la proportion d’entre nous qui souffrent de la faim ou de malnutrition n’a été aussi faible. Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi, alors que nous n’avons jamais été aussi nombreux et alors que nous n’avons jamais consommé autant de viande par individu, les populations de vaches et de moutons n’ont jamais été aussi nombreuses ? Vous pensiez, vous juriez et vous écriviez que la surface de terres arables ne suffirait pas à nourrir 4 milliards d’être humains : elles en nourrissent maintenant 7 milliards. Comment pouvez-vous avoir le culot d’affirmer que les hausses récentes des prix des denrées alimentaires valident de vos prédictions ?

Lorsque vous nous prédisiez que l’extraction du dernier morceau de charbon était imminente et qu’il fallait donc que le gouvernement intervienne de toute urgence – l’urgence est un leitmotiv lassant chez vous –, des entrepreneurs privés commençaient déjà à exploiter les gisements de pétrole d’Azerbaïdjan et du Texas. Vous auriez pu apprendre de cette erreur, intégrer le phénomène économique à vos modèles mais non : vous vous êtes contentés de remplacer le mot « charbon » par le mot « pétrole ». Selon vos très scientifiques prédictions, nous ne devrions déjà plus avoir une goute de pétrole depuis longtemps alors que dans les faits, les réserves prouvées n’ont fait que s’accroître d’année en année. Nous vous l’avons dit et répété, ce jour maudit où nous sommes supposés extraire la dernière goutte de pétrole de notre sous-sol n’arrivera jamais.

Et il y a aussi votre fameuse théorie du réchauffement climatique anthropique. J’ai bien dit théorie messieurs les scientifiques ; les vérités révélées et les consensus d'opérette n’appartiennent pas au domaine de la science mais à ceux des religions et de la politique respectivement. Vous avez truqué vos chiffres jusqu’à faire disparaître l’optimum climatique médiéval de vos graphiques, utilisé des méthodes que vous réprouviez vous-mêmes parce qu’elles avaient l’immense avantage de corroborer votre théorie, vous avez écarté et même parfois cherché à décrédibiliser toutes les voix dissidentes et, maintenant que les preuves de votre dogmatisme s’accumulent, que d'autres développent des théories plus probantes que la votre et que, discrètement, vos amis politiques commencent à se défiler : qu’allez-vous encore imaginer ?

Laissez-moi vous rappeler un petit principe épistémologique élémentaire : lorsque les modèles issus de vos théories se révèlent systématiquement en contradiction avec les faits, ça a une signification très précise ; ça signifie que vos théories sont invalidées. Si vous deviez d’aventure apprendre quelque chose de vos erreurs passées, je vous suggère d’abandonner l’hypothèse selon laquelle nous serions des virus et de réintégrer dans vos calculs le paramètre qui leur manque cruellement : l’être humain.

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[1] Si vous avez le moindre doute sur la question, je me permet de vous rappeler que la plus grande tentative de contrôle de naissance menée à ce jour – la politique de l’enfant unique en République Populaire Chine – n’a pas permit de stabiliser et encore moins de réduire la population et ce, malgré le caractère quelques peu autoritaire du gouvernement de Pékin (de 1979 à 2009, la population chinoise augmente de plus de 360 millions d’individus, soit +37%).
[2] Depuis 1798, année de la première édition de l’Essai sur le principe de population de Thomas Robert Malthus.
[3] Voir, notamment, Paul R. Ehrlich, The Population Bomb (1968).

13 commentaires:

  1. Alain Briens07/09/2012 18:13

    Toutefois, la mouvance ultra-radicale qui voudrait éliminer l'homme ou au moins limiter drastiquement sa présence est aussi ultra-minoritaire.
    La grande majorité des écologistes, ceux que je connais personnellement comme ceux que j'entends causer dans le poste, évitent soigneusement ce sujet trop sensible de peur de "stigmatiser" les peuples du "tiers-monde". Tous paroissiens à l'église de la Sainte Repentance, ils réalisent au contraire le tour de force de ne JAMAIS mentionner le souci démographique (que vous niez mais c'est un autre débat...)quand ils débattent de l'impact de l'homme sur la planète.

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  2. Alain Briens07/09/2012 18:31

    J'ai un raisonnement par l'absurde à vous soumettre en terme de population.
    Je vous donne volontiers quitus du fait que toutes les prévisions apocalyptiques se sont révélées fausses mais les arbres eux-mêmes ne grimpent pas au ciel.
    La terre pourrait-elle abriter 100 milliards d'humains ? Je n'en sais rien mais je peux raisonnablement penser que non,quelques soient les techniques agricoles en vigueur, pour la simple raison que l'agressivité (déjà assez forte...) augmente avec la promiscuité, et pas seulement chez les rats de laboratoire.
    Si la terre ne peut pas héberger de façon viable 100 milliards d'humains, c'est donc qu'il existe un nombre maximum, que nous ne connaissons pas mais qui existe.
    Ainsi, les prophètes de l'apocalypse n'ont pas eu un mauvais raisonnement mais ont été simplement trop pessimistes sur l'inventivité humaine.
    Peut-être suis-je trop anxieux mais la situation démographique et écologique de la planète me fait penser à l'histoire du gars qui se jette d'un gratte-ciel et qui pendant sa chute dit en passant devant chaque fenêtre "jusque là ça va !". On s'est toujours trompé sur la hauteur du gratte-ciel mais la fin de l'histoire sera toujours la même...

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  3. Alain,
    100 milliards sur terre ? J'ai beau être optimiste, je ne crois pas ça possible.
    Là n'est pas la vrai question : il existe un point à partir duquel nos progrès techniques ne seront plus suffisants pour absorber la croissance la population. A ce moment, on observera sans doute des tensions durables sur les prix (alimentaire, logement...) et les gens, d'eux mêmes feront moins d'enfants.

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  4. "La terre pourrait-elle abriter 100 milliards d'humains ? Je n'en sais rien mais je peux raisonnablement penser que non"

    À prouver. Il y a mille ans, vous auriez demandé à quelqu'un "La terre pourrait-elle abriter 7 milliards d'humains?", il vous aurait répondu que ce n'est pas possible.

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  5. "La terre pourrait-elle abriter 100 milliards d'humains ?" n'est peut-être pas la bonne question.
    Je la formulerai plutôt : "L'humanité pourra-t-elle compter 100 milliards d'individus ?"

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  6. 100 milliards ? Probablement que si... tout dépendra des technologies du moment, notamment en terme de maîtrise de l'énergie...

    En tout cas, comme l'explique Kaplan, les gens, d'eux mêmes, réduiront le nombre d'enfants.

    La question philosophique qui risque de se poser BIEN AVANT les 100 milliards d'humains, c'est l'accès à une certaine immortalité (d'abord cellulaire, ensuite peut-être d'enveloppe corporelle, et ainsi de suite), qui pourrait faire chuter tellement drastiquement le taux de mortalité... que la question des naissances se poserait à la vitesse "grand V" (vitesse selon le prisme du siècle).

    Et là, on peut un peu tout imaginer...

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  7. Deux remarques :

    Ceux qui rêvent de réduire drastiquement la population à l'instar de l'écofasciste finnois Pentti Linkola devraient commencer par donner l'exemple.

    Le socialisme et son avatar guignolesque l'écologie politique sont bel et bien des religions.

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  8. Impossible de réfuter point par point les arguments de cet article, car ils sont trop nombreux.
    Je me "contenterais" donc de quelques uns.
    - tout d'abord, cette phrase « il faudra donc que quelqu’un décide qui pourra survivre et enfanter et qui ne le pourra pas. La seule conclusion logique de vos idées, c’est un régime totalitaire à l’échelle mondiale et quelques milliards de morts » montre une totale méconnaissance des phénomènes démographiques. En effet, pour faire baiser l'effectif d'une population, point n'est besoin de mesures autoritaires, il suffit de passer sous le seuil de renouvellement (~2,1 enfants par femme) et d'y rester pendant 2 générations pour amorcer une décroissance démographique. Certes, celle-ci peut être lente, mais ça marche : c'est d'ailleurs ce qui se passe au Japon et en Allemagne sans aucune politique coercitive, au grand dam des natalistes...
    - sur le pétrole et les autres énergies fossiles (et même les métaux), il est évident que toutes ces ressources vont se raréfier, du fait qu'il faudra aller de plus en plus profond et dans des zones de plus en plus inaccessibles. Le coût va donc augmenter de telle façon, que même la production agricole en sera affectée du fait que les rendements actuels ne sont possibles que grâce à la chimie du pétrole (engrais, pesticides,...) et bien évidemment pour faire tourner les machines. Il y a donc une sérieuse incertitude pour ce qui concerne l'alimentation mondiale des 7 milliards d'humains actuels et des 10 milliards prévus en 2100.
    - rejeter d'un revers de main la question du réchauffement climatique est évidemment un peu facile lorsque l'on sait que celui-ci est reconnu par une très grande majorité des scientifiques.
    - enfin pas un mot sur la 6ème extinction de la biodiversité qui va nous impacter directement et qui dans certains cas est une honte pour notre espèce : je veux parler en particulier des tigres dont 97% ont été éliminés depuis le début du XXème siècle...

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    1. "En effet, pour faire baiser l'effectif d'une population, point n'est besoin de mesures autoritaires"
      Joli, même si de toute évidence pas fait exprès

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    2. Manso,

      Sur votre premier point, you’ve just killed a straw man comme diraient nos amis anglais. C’est précisément ce que je soutiens ; les populations se régulent d’elles-mêmes ; toute forme de coercition est inutiles et même nuisible.
      Sur les matières premières, au fur et à mesure qu’une ressource se raréfie, son prix monte et donc : les consommateurs sont incités à (i) économiser la ressource (i.e. technologies moins consommatrices) ou à (ii) rechercher une ressource alternative (du charbon au pétrole) ; dans le même temps, les producteurs sont incités à (iii) investir dans le recherche de nouveaux gisements (forages en haute mer) ou à (iv) développer de nouvelles technologies d’exploitation (sables bitumeux, gaz de schiste…). Parier sur la hausse continue du prix des matières premières, c’est parier contre le génie humain.
      Je ne rejette pas la question du réchauffement climatique ; je rappelle que le réchauffement climatique anthropique est une théorie et que tout scientifique digne de ce nom a le devoir de confronter ses théories à la critique et ce, en particulier lorsque sa théorie ne peut pas être infirmée (cf. principe de réfutabilité de Karl Popper).
      Si, justement, je parle aussi de biodiversité (i.e. l’exemple de vaches et des moutons). Je vous renvoie à ce que les économistes appellent la tragédie des biens communs ; vous pourrez alors vous renseigner sur l’état des forêts française depuis le XIXème siècle, vous demander par quoi ont été sauvés les bisons en Amérique du nord ou encore comparer la population des éléphants d’Afrique en général avec ceux du Zimbabwe (i.e. programme campfire).

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    3. " lorsque sa théorie ne peut pas être réfutée par l'expérience" est plus juste

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  9. Georges Kaplan, concernant la biodiversité qui est un des secteurs les plus impactés par la présence humaine, je vous signale l'article paru hier sur Le Monde et qui (en ligne) n'est encore ouvert qu'aux abonnés.
    http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/09/08/en-tanzanie-les-hommes-et-la-faune-sauvage-face-a-face_1757425_3244.html
    Intitulé : "En Tanzanie, les Hommes et la faune sauvage face à face" cet article relate une situation déjà fort critique alors que la population tanzanienne n'est "que" de 48 millions d'âmes. Que restera-t-il de la faune sauvage si la population atteint les 138 millions de personnes en 2050 et les 316 millions en 2100 (projections de l'ONU) : le marché va-t-il à lui seul régler la question :)

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    1. Pour ses problèmes d'espace, l'homme a inventé deux choses : les villes et les immeubles. Ca permet de concentrer de grosses population.

      Maintenant, expliquez-moi pourquoi en France, la population et la forêt s'accroissent.

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