Marseille 1.0, Gyptis et Protis

Sur la fondation mythique de Marseille, nous disposons de deux sources qui citent des originaux aujourd’hui disparus : d’une part, un extrait de la Constitution des Massaliotes d’Aristote cité par Athénée dans ses Deipnosophistes (livre XIII) et, d’autre part, un extrait des Histoires philippiques de Trogue Pompée, proposé par Justin dans son Abrégé des histoires philippiques (livre XLIII). À l’exception de quelques détails secondaires, les deux récits coïncident remarquablement. Synthèse :

Contraints par l’exiguïté et la faible fertilité de leurs terres ioniennes, les Phocéens se sont tournés très tôt vers les activités maritimes – pêche, commerce et piraterie – à tel point qu’ils devinrent, selon Hérodote, les premiers grecs à se lancer dans de longs périples maritimes. Ainsi, précise Trogue Pompée, les navigateurs Phocéens avaient même osé naviguer « en direction du rivage ultime de l’Océan » (c’est-à-dire les colonnes d’Hercule) ; fait lui aussi confirmé par Hérodote qui rapporte l’émerveillement du roi de Tartessos (en Andalousie) devant leur savoir-faire maritime. C’est à l’occasion de ce cabotage, sans doute, que les navigateurs Phocéens repèrent les lieux – et peut être même la calanque du Lacydon – et envisagèrent d’y fonder une colonie. De retour à Phocée, nous raconte Trogue Pompée, ils parviennent à convaincre certains de leurs compatriotes qui formèrent à cet effet une flotte dirigée par Simos et Protis.

De retour sur zone, non sans, nous dit Trogue Pompée, avoir signé un traité d’amitié avec les Romains du roi Tarquin [1], les commerçants Phocéens cherchent à obtenir la bénédiction de Nanus (ou Nannos), roi des Ségobriges [2], pour s’installer en terres Ligures. Or, le jour même où le roi accède à la demande d’audience des grecs et reçoit Protis (Aristote le nome Euxène [3]), il se trouve qu’il s’apprête à célébrer les noces de sa fille Gyptis (Petta selon Aristote). La coutume Ségobridge, confirment les deux auteurs, veut que ce soit la fille du roi qui désigne elle-même son futur époux en lui offrant de l’eau (Aristote évoque du vin mélangé) lors de la cérémonie prévue à cet effet. Mais voilà qu’au moment fatidique, Gyptis/Petta, ignorant ostensiblement ses nombreux prétendants, désigne Protis/Euxène.

Le Grec et la Ligure convolent donc en justes noces avec la bénédiction de Nanus qui, selon Aristote, y voit la volonté des Dieux et qui, d’après Trogue Pompée, s’empresse d’autoriser son beau-fils à fonder sa ville sur la rive nord du Lacydon. Aristote raconte qu’Euxène/Protis renomme son épouse Aristoxène [4] avant qu’elle ne lui offre un fils, Protis, qui donnera son nom à la famille des Protiades ; qui vivent toujours à Massalia confirme le philosophe. Trogue Pompée poursuit encore pour raconter la trahison de Comanus, fils de Nanus, qui tend un piège typiquement troyen aux massaliotes ; piège déjoué grâce – encore ! – à l’amour d’une Ségobridge pour un Grec mais qui explique, selon l’historien gallo-romain, les relations tendues qu’entretiendront encore longtemps les Phocéens et les Ligures.

Bref, Massalia est née.

Trogue Pompée précise que ces évènements ont eu lieu « à l’époque du roi Tarquin » - c’est-à-dire sous le règne dudit – ce qui nous laisse deux possibilités : Tarquin l’Ancien (-616 ; -578) ou Tarquin le Superbe (-534 ; -509). C’est la prise de Phocée par les perses de Cyrus le Grand vers 546 av. J.-C. qui permet de privilégier la première hypothèse. En effet, à partir de cette date, la métropole ionienne a perdu l’essentiel de sa puissance et une grande partie de sa population grecque : il est peu vraisemblable qu’elle ait été en mesure de fonder la moindre colonie sous la domination Achéménide. C’est ce qui permet de dater l’arrivée des premiers colons grecs sur les rives du Lacydon aux environs de l’an 600 av. J.-C.

Assez remarquablement, c’est ce que confirment les archéologues modernes qui ne trouvent aucune trace d’occupation stable des lieux à la fin du VIIe siècle avant J.-C. [5] mais confirment l’existence d’habitations sur la butte Saint-Laurent et peut-être même sur la butte des Moulins au début du VIe siècle. C’est remarquable parce qu’en situant la fondation mythique de Massalia dans un créneau de 38 ans qui se trouve être parfaitement crédible, Trogue Pompée nous laisse à penser que le mythe comporte une part, fût-elle ténue, de vérité.

Notons ici que, lorsque Aristote raconte cette belle histoire, elle est supposée avoir eu lieu il y a déjà plus de deux siècles et notre philosophe n’ayant probablement jamais mis les pieds dans cette partie du monde [6], il utilise sans doute des sources de seconde main. Trogue Pompée, qui a vécu sous Auguste, est un auteur encore plus tardif mais il présente l’avantage d’avoir des origines gauloises – c’est un Voconce de Vaison-la-Romaine – fortement imprégnées de cette culture grecque qui émane, justement, de Marseille. C’est donc ce dernier qui, sans doute, rapporte l’histoire la plus proche du mythe originel : l’exposé d’Aristote est bien plus succinct, les noms d’Euxène et d’Aristoxène relèvent de licence poétique et l’on peut même se demander si la coupe de vin offerte par Gyptis ne relève pas de l’anachronisme [7]. La version du macédonien a donc surtout valeur de confirmation : il utilise probablement une source différente de celle de Trogue Pompée qui, pour l’essentiel, recoupe le discours de ce dernier.

On peut également porter au crédit de Trogue Pompée sa description des enjeux Phocéens qui les conduisent à se tourner vers la mer et à essaimer des comptoirs commerciaux tout au long des côtes nord de la Méditerranée : Hérodote, nous l’avons dit plus haut, comme les historiens modernes confirment largement. Ainsi donc, l’idée selon laquelle des Phocéens, vers l’an 600 avant J.C., seraient parvenus à s’entendre avec les Ligures pour fonder un comptoir dans le Lacydon, ne semble être contestée par personne.

Reste, bien sûr, le mythe de Protis et Gyptis. Si, deux siècles plus tard, Aristote rapporte l’existence de la famille des Protiades, c’est qu’il y a sans doute un Protis (ou un « Protos », un premier) au départ de la dynastie. Est-ce un mythe construit de toute pièce comme pour justifier des intentions pacifiques des grecs, de leur légitimité à Massalia et des différents qui les opposent à leurs voisins Ligures ? C’est, à vrai dire, assez probable tant de telles fables étaient courantes parmi les cités antiques – qu’on songe, pour ne citer que l’exemple le plus célèbre, à Rome.

Ce qui semble en revanche établit c’est qu’à cette première fondation mythique viendra, quelques années plus tard, s’en rajouter une seconde avec la chute de Phocée et l’exil d’une large part de sa population vers 546 avant J.-C. C’est peut être, d’ailleurs, à cet évènement que Strabon se réfère dans sa Géographie (Livre IV) : le passage des Phocéens fuyant les Perses par Éphèse peut tout à fait avoir eu lieu à ce moment puisque cette citée, relativement à l’écart des affaires lydiennes, n’a pas cherché à opposer de résistance à Cyrus II [8].

C’est à partir de ce moment que le comptoir commercial va devenir une véritable cité grecque ; une base avancée de la civilisation hellénistique « battue des flots de la barbarie » (Cicéron) ; d’où, comme toutes les colonies lointaines au travers de l’histoire, son attachement viscéral aux anciennes coutumes, sa posture de citadelle assiégée et son célèbre conservatisme politique.

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[1] La chronologie est incertaine. Ce qui semble établit, c’est que le traité romano-phocéen a été signé avant la fonction de Massalia.
[2] Tribu celto-ligure.
[3] Ce qui, en grec, signifie « hôte bienvenu ».
[4] En grec, « bonne hôtesse » ; voir note [3].
[5] Ce qui explique sans doute pourquoi les Ligures ont pu se montrer relativement détendus lors de la première installation des grecs.
[6] Et ce, même si Aristote semble très au fait de l’histoire de Massalia comme en témoigne le fait qu’il ait rédigé la Constitution des Massaliotes et utilisé à deux reprise la cité comme exemple dans sa Politique.
[7] Ce sont les massaliotes, justement, qui vont introduire la culture de la vigne et la consommation de vin en Gaule. Les cités étrusques avaient bien commencé à y exporter quelques amphores mais l’absence de ports digne de ce nom sur le territoire Ségobridge ne plaide pas en faveur d’Aristote.
[8] C’est, selon Strabon, l’origine du culte d’Artémis d’Éphèse à Massalia.

Préférez la réalité à la chimère

Imaginez que demain, un gouvernement élu à la majorité des suffrages exprimés décrète que l’homosexualité est un crime passible de la peine capitale. Dès lors, les arrestations et les exécutions qui s’en suivront seront, à n’en pas douter, parfaitement légales et s’appuieront, par hypothèse, sur un processus législatif tout à fait démocratique. Question : pensez-vous que nous puissions raisonnablement supposer que les homosexuels consentent à leur sort au motif qu’ils sont réputés avoir signé notre fameux contrat social ?

Probablement pas.

Sans doute m’opposeriez-vous que ledit contrat social stipule qu’un individu ne peut être arrêté et encore moins tué au motif de ses préférences sexuelles. Fort bien, j’y souscris mais je vous demande alors de me produire une copie de ce fameux contrat afin que nous puissions vous et moi constater la non-conformité de la décision gouvernementale suscitée.

Chose dont vous êtes bien incapable.

Le fait est que ce fameux contrat social n’existe pas. C’est une amusante théorie qui n’entretient avec la réalité qu’un rapport lointain et incertain. Le seul document que vous pourriez éventuellement verser au dossier, le seul texte qui puisse, à condition de s’éloigner radicalement de la théorie rousseauiste, être assimilé à un contrat social, c’est notre Constitution.

Cessez donc de vous référer au contrat social, qui est une chimère, et privilégiez la réalité concrète, qui est la Constitution.

À bas Big Mother !

Entendons-nous bien : si ma fille [1] devait un jour m’annoncer qu’elle se fait rémunérer pour allaiter un enfant ou, pire encore, si elle devait m’avouer avoir vendu un de ses reins, je serais le premier à en être profondément affligé. Ce serait, pour moi comme pour sa mère, un terrible échec. En tant que père, je saurai à ce moment que je n’ai pas été capable d’offrir une vie décente à la chair de ma chair et, de toute évidence, c’est sur mon épouse et moi-même que retombe le poids de cet échec. J’en serai, profondément et irrémédiablement, meurtri.

Pour autant, suis-je en droit de le lui interdire ? La réponse, sans aucune équivoque, est non. Définitivement non. C’est son corps ; pas le mien. Elle sera toujours ma fille, mon bébé, et tant que j’aurais un souffle de vie, elle pourra toujours compter sur son vieux père mais cela ne me donne aucun droit sur l’usage qu’elle fait de son corps. C’est son corps, sa vie ; c’est un don définitif et sans condition. Ma fille, son corps et son âme, ne m’appartiennent pas, pas plus qu’ils n’appartiennent, n’en déplaise à Madame Rossignol [2], à l’État : ils n’appartiennent qu’à elle seule et elle seule peut légitimement décider ce qu’elle souhaite en faire.

Or voilà : ce que je ne suis pas en droit de faire en tant que père pour ma propre fille, je ne suis pas en droit de le faire en tant que citoyen pour une parfaite inconnue. Le fait qu’une jeune maman de 29 ans loue ses seins pour allaiter des nourrissons aura beau me déranger, me choquer ou même me révulser, ce ne sont pas des motifs suffisants pour en réclamer l’interdiction. Je pourrais, à la rigueur, arguer d’une hypothétique atteinte à mes droits fondamentaux ou à ceux des nourrissons concernés mais ma position serait bien fragile tant le crime allégué, n’en déplaise à Madame Boyer [3], ne fera de toute évidence aucune victime.

J’entends d’ici celles et ceux qui hurlent à « la marchandisation du corps », symbole, selon eux, de l’ultralibéralisme, de la perte des repères et de la détresse morale qui caractérise notre temps. Puis-je, à l’instar de Gil Mihaely et Daoud Boughezala [4], vous rappeler que, des siècles durant, des nourrices bretonnes ou bourguignonnes ont, moyennant finances, nourrit au sein les enfants de la bourgeoisie francilienne ? Le fait est qu’avant la loi du 18 décembre 1989, une femme pouvait, en toute légalité, vendre son lait sans que personne n’y trouve rien à redire. Ce qui caractérise ces trois dernières décennies, ce n’est donc pas la « la marchandisation du corps » ; c’est précisément l’inverse : la généralisation du principe d’indisponibilité du corps humain.

Je sais bien que les partisans de l’indisponibilité (ou, dans une version édulcorée, de la « non-patrimonialité ») plaident en faveur de la dignité de la personne humaine ; motif aussi honorable qu’il est difficile à définir. Mais enfin, au-delà des postures morales et paternalistes, au-delà du bricolage législatif et jurisprudentiel, il faudra bien un jour en revenir aux principes : qu’il s’agisse de vente de lait maternel, de gestation pour autrui ou même d’euthanasie, la véritable question que soulèvent ces évolutions du droit c’est celle de savoir si, oui ou non, nous sommes bien propriétaires de notre propre corps.

Nous ne reviendrons pas, chers lecteurs, sur le débat byzantin qui oppose depuis des siècles les traditions aristotélico-thomiste et platonico-cartésienne : la personne humaine est-elle l’union substantielle d’un corps et d’un esprit ? Ce qui donne prise à l’affirmation kantienne selon laquelle « une personne ne peut pas être une propriété […] car il est impossible d’être à la fois une personne et une chose, un propriétaire et une propriété. [5] » Ou est-elle essentiellement un esprit qui habite un corps ? Auquel cas il y a bien distinction entre le sujet et l’objet du droit et donc, un homme peut bien être propriétaire de son corps. Ce n’est pas que le débat manque d’intérêt ; c’est qu’il est loin d’être tranché et ne le sera peut-être jamais.

En l’absence de réponse définitive et universelle à cette épineuse question philosophique, il n’est pas question de savoir si nous pouvons ou non être techniquement propriétaires de notre enveloppe charnelle : nous le pouvons si nous le voulons. C’est un problème purement normatif : la question qui se pose à nous en tant que citoyens, est de savoir si nous voulons que le droit nous reconnaisse la propriété pleine et entière – usus, fructus et abusus – de notre corps ou, le cas échéant et sans jeu de mot, si nous acceptons que ce droit soit démembré [6] ou amputé.

Être propriétaires de notre corps signifie que nous pouvons l’utiliser comme bon nous semble (usus), que nous sommes en droit de jouir de ses fruits (fructus) et que nous pouvons pas en disposer librement (abusus). Mais une des caractéristiques fondamentale du droit de propriété c’est qu’il est exclusif. C’est-à-dire qu’il ne nous donne pas seulement le droit de jouir de ces trois attributs : il nous permet aussi d’en exclure les tiers. Pour notre jeune loueuse de seins, cela signifie qu’elle peut vendre son lait (fructus) mais aussi interdire à quiconque d’en disposer sans son consentement. Cela signifie qu’elle peut utiliser son corps pour avoir des relations sexuelles avec qui elle le souhaite (usus) tout en en interdisant l’accès à ceux qui n’y ont pas été invités. Cela signifie enfin qu’elle peut choisir de subir une mastectomie préventive [7] si elle le juge utile (abusus) mais que personne ne peut le lui imposer.

Lorsque Proudhon, pour ne citer que lui, fait de nous les usufruitiers de notre corps, il faut bien comprendre qu’il désigne implicitement le nu-propriétaire : Dieu ou la Nature pour la rhétorique ; l’État dans la réalité concrète et quotidienne des choses. Avant Big Brother qui entend contrôler nos pensées, voici Big Mother qui s’arroge la propriété de notre corps. Si « mon corps m’appartient » a été le slogan des féministes d’hier comme celui de toutes ces femmes musulmanes qui, aujourd’hui encore, souffrent sous le joug d’États intégristes, ce n’est par hasard : être propriétaire de son corps c’est la condition première de notre liberté et chaque coup de canif donné à ce principe nous rapproche de la condition d’esclave.

Naturellement, de la même manière que la loi prévoit certaines limitations à l’usage que nous faisons de notre logement, elle peut aussi poser de telles limites sur celui que nous faisons de notre corps. C’est pour cette raison que nous nous sommes dotés d’une Constitution, de cette fameuse Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui, dans son article II liste la liberté et la propriété parmi nos droits naturels et imprescriptibles, stipule que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » et que « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits » (article IV) et précise bien, à toute fins utiles, que « la Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société » (article V).

En tant que citoyen de ce pays, j’estime que toute loi qui contrevient aux principes énoncés ci-dessus est inconstitutionnelle et qu’à ce titre elle est illégitime. Peu importe que cela vous plaise ou non, cette jeune maman qui souhaite louer ses seins a le droit de le faire et vous n’avez pas le droit de le lui interdire. À bas Big Mother !

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[1] Licence poétique. J’ai en réalité deux filles et aucune d’elles n’a – Dieu m’en préserve ! – atteint l’âge de la majorité.
[2] Voir Isabelle Marchandier, Une sénatrice PS prise en flagrant délit de barjotisme ! sur Causeur.fr (8 avril 2013).
[3] Valérie Boyer, interviewée par Gil Mihaely et Daoud Boughezala pour Causeur.fr estime que l’allaitement rémunéré pour autrui présente un risque sanitaire mais omet, fort opportunément, de préciser que ce même risque sanitaire existe pour des enfants allaités par leur mère biologique.
[4] Ibidem.
[5] Emmanuel Kant, Leçons d’éthique.
[6] Étant bien entendu qu’un homme qui ne jouit ni de l’usus, ni du fructus, ni de l’abusus de son corps est un esclave.
[7] Voir moi-même, en réponse à Eugénie Bastié, dans Angelina, le courage de se mutiler.

Bâle et les défaillances du marché

C’est au début des années 1980 que les autorités monétaires et financières ont commencé à imposer aux banques de respecter ce que nous appelons aujourd’hui des ratios de solvabilité (ou, indifféremment, des ratios d’adéquation des fonds propres). L’idée, comme toujours, partait des meilleures intentions qui soient : il était question d’empêcher les banques de prendre trop de risques en limitant la quantité de crédit qu’elles pouvaient accorder en fonction de leurs fonds propres. Aux États-Unis, par exemple, les premiers ratios de ce type (1981) imposaient aux banques de disposer d’un capital [1] égal à 5 ou 6% (en fonction du type de banque) du montant total de leur actif.

À partir du milieu de la décennie, il est apparu aux régulateurs que ces ratios basiques souffraient d’une faille importante dans la mesure où ils ne distinguaient pas les prêts réputés sûrs (accordés aux institutions publiques par exemple) de ceux dont on pouvait raisonnablement supposer qu’ils étaient plus risqués (typiquement, un prêt accordé à une entreprise privée dont la situation financière est fragile). Ce sont ces réflexions qui, en 1988, vont donner naissance au premier des ratios de Bâle [2], le ratio Cooke ou Bâle I. Le principe en est le suivant : les banques doivent désormais calculer le montant de leurs actifs pondérés des risques (y-compris le hors-bilan) et faire en sorte de disposer d’un capital au moins égal à 8% de ce dernier.

Dans le cadre du ratio Cooke, le calcul de l’actif pondéré des risques se base sur quatre grandes catégories : les crédits accordés à (ou garantis par) des gouvernements sont pondérés à 0% (c’est-à-dire qu’un prêt de $100 au gouvernement des États-Unis compte pour 0% de $100, soit $0), les prêts aux banques sont pondérés à hauteur de 20% [3], les crédits immobiliers sont pondérés à 50% tandis que tous les autres types de prêts – et notamment les lignes de crédit accordées aux entreprises – sont pondérés à 100%. Par exemple, une banque qui aurait accordé $25 de prêts au gouvernement, $25 à une autre banque, $25 de crédits immobiliers et $25 à une entreprise afficherait un actif de $100, un actif pondéré des risques de $42,5 (0% x $25 + 20% * $25 + 50% * $25 + 100% * $25) et devrait donc disposer d’un capital de $3,4 (8% x $42,5).

Pour les banques, qui, à l’instar de n’importe quelle entreprise privée, raisonnent en termes de rentabilité de leurs fonds propres, le message du législateur est on ne peut plus clair : moins de prêts aux entreprises et plus de crédit immobilier. Les chiffres de la Fed pour les États-Unis sont sans équivoque : d’environ 25% du total des crédits accordés par les banques en 1988, les crédits immobiliers ont littéralement explosés et représentent aujourd’hui plus de 40% du montant total prêté par les banques. Sur la même période, les crédits industriels et commerciaux ont suivi la tendance inverse : de 25% en 1988, ils pèsent aujourd’hui moins de 14% des prêts bancaires.

Les banques se montrant de plus en plus frileuses dès lors qu’il était question de leur prêter de l’argent, les entreprises ont dû trouver d’autres sources de financement. En l’occurrence, c’est vers les marchés qu’elles se sont retournées : elles se sont mises à émettre des obligations (ou, d’une manière plus générale, des titres de créances) qui leur permettaient de contourner l’industrie bancaire et d’accéder directement aux capacités de financement de l’économie. Ce phénomène porte un nom, la désintermédiation bancaire, et il a une limite : il ne concerne que les grandes entreprises. En effet, une émission obligataire, pour des raisons de coûts et de liquidité, ça se chiffre en centaines de millions d’euros. Pour les petites entreprises, la mise en œuvre des ratios de Bâle s’est donc traduite par un tarissement ou, dans le meilleur des cas, un renchérissement du crédit bancaire sans qu’aucune alternative viable ne vienne le remplacer.

Une autre stratégie de contournement des ratios de solvabilité a consisté, pour les banques, à se débarrasser massivement des risques de crédits qu’elles portaient sur leur bilan. La méthode, connue sous le nom de titrisation, consiste à transférer les crédits accordés par une banque à une entité crée pour l’occasion ; laquelle entité finance l’opération en émettant de la dette sur les marchés. En d’autres termes, les banques ont, pour pouvoir continuer à prêter tout en respectant la contrainte réglementaire, transféré leurs risques sur des institutions non-bancaires. Aux États-Unis, par exemple, le développement du marché des Asset-Backed Securities coïncide parfaitement avec la mise en œuvre de Bâle I.

C’est la combinaison de ces deux effets – désintermédiation et titrisation – qui va donner naissance à ce que nous appelons aujourd’hui le shadow banking (la « finance de l’ombre », brrr…) ; c’est-à-dire l’ensemble des activités qui, pour faire simple, prêtent de l’argent sans recevoir de dépôts et ne sont donc, à ce titre, pas soumises aux ratios de Bâle. On y inclut généralement les banques d’affaires, les fonds d’investissement (du fonds monétaire au hedge fund), les compagnies d’assurance, les organismes de crédit non-bancaires, les véhicules de titrisation… Bref, les entités qui sont venue se substituer aux banques pour financer l’économie.

Enfin, à la toute fin des années 1990, le comité de Bâle propose une réforme du ratio dont la principale caractéristique est l’introduction des notes des agences de notation financière [4] dans le calcul des actifs pondérés des risques. C’est le ratio McDonough ou Bâle II. Là encore, la démarche du législateur est parfaitement logique : comment justifier, en effet, qu’un prêt à une banque qui connait de graves difficultés financière soit pondéré plus faiblement qu’un crédit accordé à une entreprise en bonne santé ? Petit à petit, au cours de la deuxième moitié des années 2000, ce nouveau principe est adopté et va même faire des émules dans d’autres règlementations – typiquement Solvabilité II pour les compagnies d’assurances.

Cette idée qui consiste à intégrer les notes des agences dans la règlementation n’est en réalité pas nouvelle ; elle est même antérieure aux premiers ratios de solvabilité bancaire puisque, dès 1975, la Securities and Exchange Commission avait appliqué ce principe aux courtiers étasuniens. Naturellement, pour les agences de notation officiellement adoubées par le législateur [5], c’est une excellente nouvelle puisque ne pas être noté par l’une d’entre elles se traduit, pour la plupart des emprunteurs, par un surcoût qui excède très largement celui de la notation elle-même. Sans surprise, c’est donc à partir de 1975 que les agences ont pris la détestable habitude de se faire rémunérer par les emprunteurs dont elles étaient chargées d’évaluer la solidité financière.

La généralisation des règlementations de type Bâle II va avoir principalement deux conséquences sur les affaires des agences : d’une part, elles disposent désormais d’une rente règlementaire qui leur assure de confortables bénéfices et, par ailleurs, elles vont acquérir un pouvoir d’influence sans précédent. Autrefois, une banque ou un investisseur pouvait choisir d’ignorer les conseils des agences ; désormais, la dégradation d’une note a des conséquences légales. Aujourd’hui, lorsque les agences dégradent un emprunteur en deçà d’un certain seuil, ce sont ces contraintes règlementaires qui forcent les investisseurs à vendre et, pire encore, à vendre tous en même temps.

Quelles que soient vos opinions politiques, il y a donc un certain nombre de faits auxquels vous ne pouvez pas échapper.

Primo, l’industrie bancaire, loin d’être, comme on l’entend trop souvent « dérégulée », a subit au contraire un large mouvement de régulation depuis, en gros, le début des années 1980. C’est même la seule industrie qui est aujourd’hui régulée de manière coordonnée à l’échelle mondiale ; les ratios de solvabilité n’étant qu’une des nombreuses pierres de l’édifice. Le fait est que ces derniers, qui visaient précisément à limiter les risques de faillite et les paniques bancaires, se sont révélés parfaitement inopérants. Vous pouvez estimer que le législateur a mal fait son travail, qu’il a été trop laxiste mais mettre la crise que nous traversons sur le dos d’une prétendue absence de régulation relève de l’ignorance ou de la malhonnêteté intellectuelle.

Deuxio, les ratios de solvabilité ont bien eu des effets et pas des moindres : ils ont provoqué, d’une part, la désintermédiation bancaire et le développement du shadow banking et, d’autre part, l’explosion du marché de la titrisation. Nos politiciens qui, aujourd’hui, se plaignent de ce que les banques ne prêtent plus aux entreprises (d’où la Banque publique d’investissement) et s’inquiètent de l’importance du shadow banking ne semblent pas réaliser que ce sont précisément leurs interventions passées qui sont à l’origine de ces phénomènes. Si le durcissement des ratios de solvabilité bancaires (Bâle III) et la « reprise en main » des sources de financement non-bancaires de l’économie doivent avoir un effet, c’est bien de réduire encore un peu plus les sources de financement à la disposition nos entreprises.

Tertio et symétriquement, vous ne pouvez pas, en conscience, nier le fait que les ratios de solvabilité ont très largement favorisé les crédits immobiliers et les emprunts publics qui se trouvent précisément être au cœur de la crise que nous connaissons aujourd’hui. Ce n’est, bien sûr, qu’une partie de l’équation mais nier le rôle joué par la règlementation dans la croissance des crédits immobiliers et donc, dans la formation de la bulle immobilière relève de l’aveuglement pur et simple.

Quarto et j’en resterai là : c’est le législateur qui, en utilisant les notes des agences dans la réglementation, a introduit un risque systématique massif dans notre système financier. Là où, autrefois, banquiers et investisseurs pouvaient décider de continuer à soutenir un débiteur en difficulté, ils n’ont désormais plus le choix : il leur faut vendre et il leur faut vendre tous en même temps. Ces problèmes que sont le pouvoir exorbitant acquis par les agences et ses conséquences sur les emprunteurs qui voient leur note dégradée ne seront pas réglés en légiférant : ce sont justement des conséquences directes et logiques de la réglementation.

C’est un principe bien établit : chaque catastrophe provoquée par l’ardeur législative de nos gouvernants est immédiatement requalifiée en « défaillance du marché » qu’il faut, de toute urgence, colmater à coup de réglementations. Nous allons donc assister à un nouvel épisode dont la fin est, malheureusement, déjà connue. Puissions-nous enfin en tirer les conclusions qui s’imposent.

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[1] Primary capital, principalement composé des fonds propres et des réserves.
[2] Du nom de la ville suisse dans laquelle se réunissent, sous l’égide de la Banque des règlements internationaux (BRI), les gouverneurs des banques centrales du G10 (a.k.a. le comité de Bâle).
[3] C’est aussi le cas, aux États-Unis, des prêts accordés aux government-sponsored enterprises comme Fannie Mae et Freddie Mac.
[4] En pratique, les banques qui en ont les moyens peuvent opter pour des méthodes internes d’évaluation des risques. Naturellement, ces dernières sont soumises à l’accord des autorités de tutelles qui veillent à ce qu’elles ne s’écartent pas trop des modèles de référence – c’est-à-dire ceux des agences.
[5] Aux États-Unis, les Nationally Recognized Statistical Rating Organization (NRSRO).

Le hasard n’existe pas

À la fin de son cours, un professeur lance un défi à ses étudiants : ils doivent, pour la prochaine séance, concevoir une fonction capable de générer dix nombres aléatoires. En sortant de la salle de classe, la plupart des étudiants sont intimement persuadés de la trivialité de l’exercice ; en une demi-heure, se disent-ils, ce sera bouclé. Ils rentrent chez eux, s’installent devant leur ordinateur et c’est là qu’ils commencent à réfléchir.

La tâche qui consiste à concevoir un générateur de nombres aléatoires est aussi simple en apparence qu’elle est complexe en réalité. Comment créer le hasard ? Comment concevoir un algorithme – c’est-à-dire un système forcément déterministe – qui génère un résultat qui échappe à toute explication déterministe ? Eh bien c’est impossible. Les esprits les plus brillants se sont frottés à ce problème et tous en ont conclu qu’il n’est tout simplement pas possible de créer un tel algorithme. Tous les générateurs de nombres aléatoires [1] sont en réalité des générateurs de nombres pseudo-aléatoires ; c’est-à-dire qu’ils simulent le hasard en créant des séquences de nombres dont il est plus ou moins difficile d’identifier les propriétés déterministes.

Une manière de s’approcher au plus près de l’aléa parfait consiste à s’appuyer sur des phénomènes physiques présumés imprévisible [2] comme, par exemple, le lancer d’un dé. Comme nous sommes, apriori, incapables de déterminer à l’avance sur quelle face le dé va tomber, nous considérons que la séquence de nombres de 1 à 6 qui résultera de plusieurs lancers sera aléatoire. Mais cela signifie-t-il qu’elle l’est vraiment ? Certainement pas : elle est en réalité entièrement déterminée par les lois de la physique. Avec un équipement adéquat, nous pourrions prédire précisément le résultat de chaque lancer ou faire en sorte que le dé tombe à chaque fois sur la même face. Ce qui donne ici l’illusion de l’aléa, c’est le fait que la main de celui qui lance le dé n’est pas un instrument suffisamment précis pour influer sciemment sur le résultat. Du moins en principe.

Les générateurs présumés les plus performants, plutôt que des dès, utilisent aujourd’hui des phénomènes quantiques. Il y a deux manières de justifier cela : l’interprétation classique de la théorie quantique qui veut que ces phénomènes sont vraiment aléatoires (le chat de Schrödinger à la fois mort et vivant) et celle selon laquelle les variables quantiques suivent des lois déterministes que nous ne connaissons pas (le chat est dans un état déterminé mais nous ne savons pas lequel et nous ne savons pas pourquoi). Je suis, bien sûr, parfaitement incompétent en la matière mais mon intuition me pousse à suivre Einstein [3] : Dieu ne joue pas aux dés dans l’Univers, il y a là derrière quelque chose qui nous échappe encore ; Feyman lui-même ne disait-il pas que « personne ne comprend vraiment la physique quantique » ?

Quoiqu’il en soit, et dans l’état actuel de nos connaissances en dehors du domaine quantique, l’aléa n’existe pas. C’est un abus de langage, un concept pratique qui nous permet de désigner le produit de chaînes de causalité trop complexes pour que nous pussions en comprendre le caractère déterministe. Le hasard n’est qu’une illusion ; nous vivons dans un monde déterministe mais nous vivons aussi dans un monde infiniment complexe dans lequel, bien souvent, les liens de causalité nous échappent.

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[1] La fonction ALEA() sous Excel par exemple.
[2] Ou à combiner un générateurs de nombres pseudo-aléatoires à des phénomènes physiques.
[3] Et oui, je sais pour le paradoxe EPR.

Je suis libéral

Je suis libéral. En tant que tel, j’estime qu’à l’unique condition que vos choix de vie ne portent pas atteinte à ma liberté, vous devriez pouvoir mener votre existence comme bon vous semble.

Il est sans doute utile que je précise ce point : quelque soient vos choix de vie et à l’unique condition que vous ne cherchiez pas à m’en faire supporter les conséquences, je serais le premier à me battre pour que vous puissiez vivre selon votre cœur.

Je le pense vraiment.

Je crois, en toute sincérité, que le collectivisme ne créera jamais rien d’autre que de la misère. Je le crois profondément. Mais si vous désirez fonder un phalanstère ou toute autre communauté basée sur ce principe, sachez que vous pourrez toujours compter sur mon soutien le plus indéfectible. De toute mes forces et en toute sincérité, je défendrais votre droit à vivre selon vos convictions.

Je réprouve, à titre tout à fait personnel, l’attitude de ses femmes musulmanes qui, alors qu’elles ont la chance de vivre dans un pays où le port du voile n’est pas imposé par la loi et alors que rien, ni dans le Coran, ni dans les hadiths ne le leur impose, se sentent obligées de cacher leur visage. C’est un choix que je ne comprends pas et que je n’approuve pas. Mais jamais, Ô grand jamais, je ne ferais rien qui vise à le leur interdire.

J’ai choisi de travailler dur et de prendre des risques pour construire mon avenir et celui de ma famille. C’est mon choix et peut-être ne le partagez-vous pas. Là encore, c’est votre droit le plus strict ; un droit que je respecte sans aucune arrière pensé. Ne travaillez pas, ne prenez aucun risque, faites comme bon vous semble mais, de grâce, ne le faites pas à mes dépens. Assumez vos choix et laissez-moi assumer les conséquences des miens !

Je réprouve absolument le racisme. De mes convictions, comme de mon expérience personnelle, je tiens qu’un homme est avant tout un individu qui doit être jugé pour ce qu’il est et pas en fonction du groupe dans lequel on veut le classer. Mais si c’est ainsi que vous voulez voir notre humanité, ainsi soit-il. Je ne ferais jamais rien pour vous l’interdire. Mais prenez garde : si vos convictions vous amènent à faire usage de la force, vous me trouverez sur votre chemin.

Au fond, je ne réclame qu’une seule chose : laissez-moi vivre ma vie comme je l’entends. Ne vous occupez pas de mon bonheur, je m’en charge. Si le fruit de mon travail vous semble trop cher ou mal adapté à vos besoins, n’hésitez pas à vous fournir ailleurs. Si le travail que je vous propose vous semble mal payé ou trop contraignant, refusez-le. Si vous pensez que vous pouvez produire mieux et moins cher que moi, devenez mon concurrent.

Voilà ce qu’est le libéralisme. C’est la seule forme d’ordre social qui ne nécessite pas que l’on use de violence pour la maintenir pour la bonne et simple raison qu’elle résulte de vos propres choix.

Sachant cela, posez-vous une simple question : quelque soient vos idées, pensez-vous qu’elles puissent être mise en œuvre sans faire usage de force ? Faudra-t-il exproprier les propriétaires d’entreprises ? Faudra-t-il obliger les musulmanes à se dévoiler ? Faudra-t-il prendre le fruit du travail des uns pour le distribuer aux autres ? Faudra-t-il expulser celles et ceux qui ont le malheur d’avoir la peau trop sombre à votre goût ?

Si vos idées nécessitent l’usage de la force pour être appliquées, c’est que vos idées n’ont aucune valeur.

Le Parti de l’État Fort

Chers compatriotes,

C’est un fait désormais établis qui, pour autant que nous puissions en juger, ne fait plus l’objet de débats, les malheurs de notre Nation et les souffrances du Peuple n’ont qu’une seule et unique source : le libéralisme. C’est cette idéologie totalitaire qui, imposée de force par une génération entière de politiciens véreux et irresponsables, est la source de notre déclassement économique et politique, de la perte de notre identité nationale et de la désunion qui règne aujourd’hui parmi nous. Il faut y mettre un terme ; il faut redonner à l’État, garant de l’intérêt général et de la justice sociale, les pouvoirs dont il a été privé. C’est à cette noble tâche que le Parti s’attelle ; « tout dans l’État, rien hors de l’État et rien contre l’État » - telle est notre doctrine.

Je veux ici vous apporter quelques précisions sur la réalité que recouvre cette doctrine. Il s’agit, bien sûr, d’un bref résumé et les quelques points que je m’apprête à développer ci-après ne prétendent aucunement à l’exhaustivité. Laissez-moi donc vous en tracer en quelques lignes le programme que nous mettrons en œuvre au cours des prochains mois.

Avec effet immédiat, toute transaction économique – entendue comme l’échange d’un bien ou d’un service contre un autre ou contre une somme d’argent – est soumise à l’autorisation préalable du Ministère du Plan qui en fixe les conditions (quantités, prix et autres modalités) selon que grille établie de manière scientifique et rationnelle. En particulier, les salaires, comme le nombre de travailleurs nécessaires à l’accomplissement d’une tâche donnée, le temps de travail et les conditions dans lesquelles il se déroule sont désormais fixés par l’État. De la même manière et afin d’assurer une répartition équitables des résultats de chaque entreprise, la rémunération des capitalistes et cadres dirigeants est soumise à l’approbation du Ministère du Plan. Les banques, compagnies d’assurance et autres entreprises financières sont nationalisées.

Afin d’améliorer et de fluidifier le dialogue social, tout en donnant plus de poids aux travailleurs, l’ensemble des syndicats existants sont fusionnés au sein d’une entité unique – le Syndicat National des Travailleurs Français (SNTF) – et placés sous la tutelle du Ministère du Plan. Toute activité syndicale en dehors du SNTF est déclarée illégale et constitue un crime contre la Nation et l’État. Dès lors, devenu obsolète et inutile, il est bien entendu que le droit de grève est désormais aboli : seul le Ministère du Plan, garant de l’intérêt général, est habilité à trancher les éventuels désaccords. Tout travailleur, sans distinction de rang, est tenu d’accomplir la tâche pour laquelle il a été désigné et il est rigoureusement proscrit de changer d’assignation (ou, dans le cas des capitalistes, de chercher à revendre une participation) sans un accord explicite dudit Ministère.

Le Parti entend également lutter avec la plus grande vigueur contre le mondialisme libéral et mettre fin à cette idéologie mortifère et irresponsable qui favorise la circulation des marchandises, des capitaux et des hommes. Désormais, aucune marchandise, aucun échange de service, aucun flux financier et aucun homme ne pourra traverser nos frontières, dans un sens comme dans l’autre, sans une autorisation dument délivrée par le Ministère compétent – le Ministère du Plan délivrera des autorisations pour les marchandises, les services et les flux financiers tandis que le Ministère de la Sécurité sera chargé d’établir les visas d’entrée ou de sortie des personnes physiques. Afin d’éviter les actes de trahison, le Parti ordonne que tous les membres d’une même famille ne peuvent désormais quitter le territoire national en même temps.

S’agissant du logement, les lieux d’habitation inoccupés ou dont la surface excède manifestement les besoins des occupants sont immédiatement réquisitionnés en vue d’être répartis de manière équitable. Les individus qui disposent aujourd’hui d’un logement dont la surface excède celle qui est jugée nécessaire par le Ministère du Logement mais qui, pour des raisons techniques, ne peuvent le scinder en plusieurs unités plus petites sont tenus de partager leur habitation. En outre, comme indiqué précédemment, la cession ou la location d’un logement fait l’objet d’une autorisation du Ministère du Plan qui, en coordination avec le Ministère du Logement, estime si les conditions de la transaction satisfont à l’intérêt général.

Les enfants sont l’avenir de notre Nation. C’est pour eux que nous consentons tant de sacrifices et c’est à eux que nous dédions ce monde meilleur que nous édifions aujourd’hui. Ils n’appartiennent pas, contrairement à ce que prétendait autrefois la bourgeoisie, à leurs parents mais à la Nation. C’est donc un devoir sacré de l’État que de pourvoir à leur éducation ; d’en faire d’honnêtes travailleurs et de fidèles serviteurs de l’Etat. Nous décrétons donc que, dès l’âge de sept ans, les enfants de la Nation seront séparés de leurs géniteurs pour être confiés aux divers programmes de formation du Ministère de l’Instruction. En fonction de leurs qualités physiques et intellectuelles, ils recevront ainsi, dès leur plus jeune âge, une éducation adaptée à leurs aptitudes et débarrassée des parasites inhérents au modèle familial bourgeois ; une éducation qui leur permettra de répondre au mieux aux futurs besoins de la Nation toute entière plutôt qu’aux ambitions égoïstes de leurs géniteurs.

Par ailleurs, le redressement moral de la Nation est une de nos priorités. Le Parti ordonne donc que les pratiques sexuelles qui n’ont pas pour but de faire prospérer la Nation en qualité comme en quantité soient désormais considérées comme illégales et contraires à l’intérêt général. En particulier, les pratiques égoïstes telles que l’homosexualité ou la pornographie sont interdites et feront l’objet de sanctions déterminées par le Ministère de la Vertu. Par extension et afin d’éviter les comportements provocateurs, ce même Ministère élaborera un code vestimentaire à l’usage du Peuple et, en coordination avec le Ministère de l’Information et celui de la Culture, sera chargé d’expurger la presse et les arts de tout contenu à caractère pornographique.

À ce propos, le Parti accorde une importance toute particulière au rôle de la presse. Elle constitue, au travers de la diffusion d’une information claire et objective, le principal vecteur d’instruction du public adulte au même titre que le Ministère de l’Instruction pourvoit à la formation des plus jeunes. Il est donc essentiel que la presse soit indépendante idéologiquement et financièrement. C’est afin de garantir cette indépendance que nous annonçons aujourd’hui la nationalisation de tous les organes de presse – écrite, radio ou télédiffusée – et la création du Ministère de l’Information qui aura pour mission de veiller à la clarté et à l’objectivité des informations diffusées. Par ailleurs, l’Internet, cet espace sauvage et dérégulé ayant déjà largement prouvé sa nocivité, nous le déclarons illégal et chargeons le Ministère de l’Information du développement d’un réseau centralisé sur le modèle de celui du Minitel.

Un objectif essentiel du Parti, dans le cadre de l’édification de notre projet commun, est de garantir la laïcité et donc, de combattre l’emprise des religions sur la Nation. Elles sont donc toutes déclarées illégales. Toute forme de culte ou de pratique à caractère ésotérique est désormais interdite et relève du crime contre l’État. Dans les mois à venir, le Ministère de l’Aménagement du Territoire procèdera à la démolition systématique de ces reliques d’un autre temps que sont les édifices religieux – églises, mosquées, temples et synagogues – ou à leur reconversion en bâtiments administratifs. Symétriquement, le Ministère de la Culture sera chargé d’identifier les œuvres littéraires ou autres qui, d’une manière ou d’une autre, présentent ces odieuses superstitions sous un jour favorable et procèdera à leur destruction.

D’une manière générale, le Ministère de la Culture veillera à l’épanouissement d’une activité culturelle compatible avec les objectifs du Parti et donc, ceux de la Nation. La création artistique comme sa diffusion ne sauraient être laissées au seul hasard d’initiatives individuelles désordonnées. Dans cet esprit, le Ministère disposera des pouvoirs les plus élargis pour organiser, financer, contrôler et diffuser la production des travailleurs-artistes et des travailleurs intellectuels – à l’exception des journalistes qui relèvent du Ministère de l’Information. Dûment relayée par le Ministère de l’Instruction dès la plus tendre enfance et protégée de la concurrence déloyale des productions étrangères, notre culture pourra ainsi s’épanouir librement et redevenir le ciment de notre Identité Nationale.

L’édification d’un monde nouveau requiert la plus grande rigueur et l’engagement total de tous et de toutes. Pour ce faire, le Parti entend non seulement renforcer les législations existantes en matière de drogues en rétablissant, notamment, la peine de mort pour les contrevenants mais rajoute les boissons alcoolisées à la liste des substances interdites. En réduisant l’ardeur des hommes au travail, en leur faisant perdre de vue leurs devoir vis-à-vis de l’État, en détruisant leur santé – et donc la santé de la Nation – et en favorisant honteusement les comportements égoïstes, la consommation d’alcool, sous toutes ses formes, doit désormais être considéré comme une des activités les plus antisociales et, dès lors, les plus répréhensibles qui soit. La production, la distribution et la consommation d’alcool est donc désormais déclarée illégale et passible de la peine capitale.

De la même manière et pour les mêmes raisons, le Parti se fait fort d’encourager la pratique d’activités sportives. Cette mission d’intérêt général, confiée au Ministère des Sports, vise à former une jeunesse robuste et rompue à la discipline qu’impose l’avènement d’un monde meilleur. En revanche, afin de combatte les cultes bourgeois de la concurrence et de la performance individuelle, le Ministère veillera à abolir toute forme de compétition sportive et privilégiera les sports collectifs qui ne singent pas grossièrement la logique de domination imposée par la culture capitaliste. Lorsque c’est possible, les règles qui prévalent dans la pratique des sports aujourd’hui considérés comme populaires seront amendées de sorte qu’elles corrigent les injustices de la nature et soient ainsi compatibles avec les idéaux du Parti.

Enfin, le Parti a conscience du caractère révolutionnaire de son programme et mesure pleinement les risques de sédition de la part d’une population qui n’a été que trop pervertie par les idéaux bourgeois. Vous qui êtes ici savez l’Homme ne peut vivre et être réellement heureux tout en laissant libre-court à ses fantaisies et ses envies. Si la Nation a besoin d’un guide, c’est précisément parce l’Homme, tel qu’il existe aujourd’hui, n’est pas capable de prendre soin de lui-même, parce que son égoïsme et son irrationalité l’amène invariablement à provoquer sa propre ruine. Or, je vous le demande, quelle espèce de logique y a-t-il, sachant cela, à le croire capable de désigner celui qui aura la lourde tâche de le guider ? Laissez-moi répondre pour vous : aucune. Ça n’a tout simplement aucun sens. C’est là le dernier point saillant de notre programme que je vous révèlerais aujourd’hui : à compter de ce jour, le Parti est déclaré parti unique de France et les élections sont abolies.

Vous vouliez un État fort ? Vous ne serez pas déçus !

Communisme : bilan globalement logique

C’est un sujet récurrent : à chaque fois que quelqu’un évoque les « 100 millions de morts du communisme », on assiste à une levée de drapeaux rouges qui ne contestent pas seulement ce chiffrage macabre mais, plus fondamentalement, le fait même que le communisme soit en cause. Le communisme, nous disent des Gérard Filoche ou des Jérôme Leroy, n’a jamais existé : comment pourrait-il être responsable de ce dont on l’accuse ?

Et bien ils ont raison.

Le communisme, au sens marxiste – et donc canonique – du terme, c’est une société où les classes sociales ont été abolies, une société débarrassée de la propriété privée des moyens de production mais aussi une société sans État. Le communisme, c’est une forme d’anarchisme et vous conviendrez avec moi que des régimes comme celui de l’ex-URSS, de la Chine maoïste ou de l’actuelle Corée du nord ne cadrent pas du tout avec cette définition.

(La suite est en ligne sur Causeur.fr)

La prohibition jusqu’où ?

Début 2011, un trio de médecins s’est lancé dans une expérience très instructive. Ils ont distribué un questionnaire anonyme aux détenus du centre pénitentiaire de Liancourt afin, notamment, d’évaluer la prévalence de la toxicomanie en milieu carcéral. Résultat : pas moins de 43,6% des 381 détenus ayant répondu déclaraient consommer au moins une drogue alors qu’ils étaient derrière les barreaux. C’est un secret de polichinelle : se procurer de la drogue en prison est tout sauf un problème ; ce n’est qu’une question de prix.

Ce qui pose tout de même une question importante : si l’État est incapable de contrôler le trafic de drogue dans ses prisons, qu’espérons-nous exactement de la politique de prohibition menée à l’extérieur ? Question subsidiaire : avons-nous l’intention de transformer nos rues en quartiers de haute sécurité pour mettre fin au trafic où nous arrêterons-nous avant ?

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[1] O. Sannier, F. Verfaillie et D. Lavielle, Réduction des risques et usage de drogues en détention : uns stratégie sanitaire déficitaire et inefficiente (2011).

Votre mot de passe

On ne va pas épiloguer pendant 150 ans, vous avez besoin : De mots de passe très forts (à partir de 128 bits), un par site (sauf, éventuel...