Ma-chin, t’es foutu, la jeunesse est (encore) dans la rue !

William Martinet est né le 6 septembre 1988. Ça lui fait donc 27 ans, 7 mois et 2 jours à l’heure où j’écris ces lignes. À 27 ans, 7 mois et 2 jours, William Martinet est tout juste titulaire d’une licence de biologie. C’est le représentant, si j’en crois nos ministres et la presse française, de la jeunesse ™.

Moi aussi j’ai eu 27 ans, 7 mois et 2 jours. C’était le 31 décembre 2002. À ce moment-là, j’avais validé mon master 2 et ça faisait déjà trois ans que je travaillais et payait mes impôts, j’étais marié et papa d’une petite fille de presque deux ans.

Il faut dire qu’à l’âge du jeune Martinet, je ne faisais pas de politique. Mon objectif, la priorité de ma vie, c’était d’assurer l’avenir de ma petite famille.

Je les ai bien connus, les comiques de l’Unef. Quand j’étais étudiant, ils étaient encore séparés. Il y avait l’Unef-ID, les sbires du Parti Socialisme qui entretenaient Dieu seul sait quelles sortes de relations incestueuses avec la MNEF et il y avait l’Unef-SE, les communistes — pardon, les trotskistes-lambertistes.

Mais je ne peux pas dire que je les ai bien connus. À vrai dire, ces gens-là, je ne les ai vu que deux ou trois fois : dans les une ou deux semaines qui précédaient les élections du CROUS d’Aix-Marseille — dont tout le monde se foutait éperdument. Ils étaient assez faciles à repérer : des nouvelles têtes qu’on n’avait jamais vues en amphi qui, déguisés en hippies, passaient leurs journées à distribuer des tracts et qui, comble de la rigolade, s’appelaient tous « camarade ».

Il y en a une, en particulier, qui m’a marqué. Elle s’appelait Fleur, elle était plutôt jolie mais le truc le plus extraordinaire avec cette fille-là, c’est que quand vous passiez à moins de dix mètres d’elle, vous étiez toujours à deux doigts de vous faire mordre. Elle était d’une agressivité, mon Dieu…

Nous, on bossait nos partiels, on jouait aux cartes et, pour être honnête, on faisait pas mal la fête. Elle, elle faisait la Révolution et quiconque ne suivait pas le mouvement était un social-traitre, un sale bourgeois. Sans rire.

Deux jeunes précaires parisiennes qui veulent pendre les patrons
(sauf papa).

Bref, ces jeunes-là, en cinq ans d’études supérieures, j’ai dû les voir six semaines au grand maximum et j’en garde essentiellement un souvenir amusé.

Il faut dire que l’Unef, scindée en deux ou réunie, n’a jamais représentée rien ni personne. C’est un groupuscule et ça l’a toujours été. Leurs adhérents, c’est moins de 1% des étudiants — et encore, en comptant Martinet — et ils n’ont jamais dû leurs sièges aux élections des CROUS qu’à l’absence totale d’intérêt que portent 92% des étudiants [1] à ces élections.

Bref, William Martinet, 27 ans, 7 mois et 2 jours, est président d’une bande de fils et filles de colleurs d’affiches, de ratés du système scolaire qui essaient de préparer leur carrière politique en passant par « l’ÉNA buissonnière » [2]. L’Unef, c’est un ramassis de tordus qui, à l’image de François Fillon qui couvrait les murs de sa chambre de photos du général à 14 ans (au secours !), n’ont jamais envisagé de faire autre chose de leur vie que de consacrer leur incompétence à la direction de la vie des autres.

Seulement voilà, en France, les syndicats étudiants sont des partenaires sociaux. Comme leurs aînés, ils ne représentent rien ni personne et sont même universellement détestés jusque dans les bastions les plus radicaux de la Poste [3] mais ils ont un statut qui leur vaut d’être reçus à Matignon et des financements publics qui leur permettent de faire croire en leur importance.

L’Unef, c’est cette micro-organisation dont vous n’aviez sans doute plus entendu parler depuis des décennies jusqu’à ce qu’elle se fasse instrumentaliser par l’aile gauche du PS — les « frondeurs » — et récupérer par la gauche de l’aile gauche du PS.

Les gamins dans la rue ? Pour l’essentiel, ce sont des lycéens qui n’ont pas lu une ligne de cette « loi travail », qui n’y comprennent de toute façon absolument rien mais qui ont, en revanche, parfaitement compris que l’interro de SVT était annulée pour cause de manif.

Non mais sérieusement, vous les avez vu leurs slogans #onvautmieuxqueça ?, « la nuit c’est pour baiser, pas pour travailler », « semaine de 20 heure », « ne perdons pas notre vie à la gagner », « Loi El Khomri elle est pourrie », j’en passe. Vous les avez vus ces gamins des beaux quartiers parisiens qui manifestent contre la précarité avec trois Smic sur le dos et en prenant des selfies avec leur iPhone dernier cri ? Vous avez vu la tête des dix délégués de la CGT qui ont soudainement le sentiment de manifester au milieu d’une cour de récréation ?

Rendez-leur service : contactez leur parents.

Comment peut-on seulement prendre ça au sérieux ? Vous n’êtes pas allé manifester, vous, quand vous étiez lycéens, contre Devaquet en 1986 ? Contre Jospin en 1990 ? Contre la loi Falloux en 1994 ? Contre le plan Juppé l’année d’après ? Contre Fillon en 2005 ? Allez-y, expliquez-moi à quel point vous étiez conscientisés quand vous chantiez « Devaquet, si tu savais… » sans même savoir qui était ce fameux Devaquet. À côté de chez moi, ils ont même ressortis des affiches de leurs grands-parents avec des caricatures du général de Gaulle ! Je rêve ! #deGaulleDémission !

Alors que les petits enfants des soixante-huitards remettent le couvert en se prenant plus ou moins au sérieux, passe encore. Après tout, c’est de leur âge ; le coup de l’adolescent qui se rebelle contre la société de ses parents et réclame dans la foulée son argent de poche, c’est vieux comme le monde. Mais que des adultes et, en particuliers, nos dirigeants prennent Martinet au sérieux et nous le présentent comme le « représentant de la jeunesse », non. Je veux bien que par facilité de langage ou par paresse intellectuelle on procède à des raccourcis hasardeux mais là, non, vraiment, c’est trop.

La jeunesse, je connais : j’en ai trois à la maison et pas loin d’une centaine en cours tous les ans. Elle n’a rien à voir avec Martinet, la jeunesse et elle a encore moins à voir avec Caroline De Haas sans parler de Mélenchon et d’Aubry. La jeunesse, la vraie, elle fait exactement ce qu’elle faisait déjà quand j’en faisais partie : elle bosse ses maths, révise ses partiels, cherche un stage, joue au foot, drague les filles et, de temps en temps, se remet de la cuite de la veille.

Alors, de grâce, mesdames et messieurs nos élus, cessez de vous cacher derrière vos partenaires sociaux. Vous ne trompez plus personne depuis longtemps et si eux sont inamovibles pour le moment, ce n’est pas votre cas.

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[1] Chiffre de 2014.
[2] Dixit Jean Baptiste Prévost, lui-même ancien président du bidule et donc prédécesseur de Martinet avant de rejoindre le cabinet de Geneviève Fioraso.
[3] Rappel : avec un taux de syndicalisation de 7.9%, la France se classe bonne dernière de l’OCDE ; aux États-Unis c’est 10.8%, en Espagne c’est 15.6%, en Allemagne c’est 18%, au Royaume-Uni c’est 25.4% et dans les pays scandinaves, on tourne autour de 70%.

2 commentaires:

  1. Tres sympa aussi cet article :) Je me rappelle en effet des manifs de 95-96 dont on n'avait rien a cirer, l'objectif c'était de marcher 5 min avec le groupe par solidarité, avant d'aller au bar pour jouer au baby ou aux cartes ;)

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  2. "qu’on n’avait jamais vues en amphi qui, déguisés en hippies, passaient leurs journées à distribuer des tracts et qui, comble de la rigolade, s’appelaient tous « camarade »."
    Je les ai vus une fois passer de l'autre côté du périf sur notre campus de banlieusard, autant ils pouvaient se complaire pour insulter les "petits bourgeois", ils n'ont pas eu le courage de revenir voir les banlieusards qui ont explosé de rire sur les 10 secondes que nous avions à leur consacrer avant de filer prendre notre rer et aller prendre notre boulot d'étudiant (enfin à plein temps je devais caler 35h en plus des transports et des cours 30h puisque je n'étais en pas en sociologie). On avait ni le temps ni les moyens de huer le travail et d'aller prendre des cafés pour critiquer le patronat.

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